Elle est de ces femmes que l'on ne veut pas approcher. Ses cheveux noirs abîmés, son apparence sombre... Cette femme est tellement austère qu'il vous est impossible de juste lui sourire quand vous la croisez, quand bien même vous seriez d'accord pour dire qu'elle était sûrement très belle dans une autre vie. Avant.
Elle est de ces femmes blafardes qui semblent porter le monde sur leurs épaules rachitiques.
En tout cas, elle porte son malheur.
Sharleen Theran est une jeune femme de vingt ans qui a largement eu le temps de subir de multiples sévices. Si son bourreau était le Destin, il avait tout de même un nom et un corps.
Erwan De Lorge.
Auparavant, ces deux jeunes gens étaient amis. Les meilleurs amis du monde. Ils se confiaient l'un à l'autre, riaient, jouaient, grandissaient main dans la main. Puis vint l'amour.
Pas entre eux, non.
Chacun de son côté. Peut-être était-ce cette nuance qui causât leur perte. Si elle aimait un jeune homme aux cheveux noirs et aux yeux bleus qui portait le doux nom d'Isol Theran, lui aimait une fille un peu renfermée au visage poupin et aux attitudes adorables du nom de Lucie. Si ces des derniers filaient le grand amour bercé de romances alors que les beaux jours existaient encore, les deux autres étaient des assassins du romantisme. Mais ils étaient heureux.
Ensemble.
Ils auraient dû l'être.
Mais un grand fléau frappa le montre de plein fouet, le saisissant à la gorge et le faisant chavirer dans un chaos fécondé par l'avidité des hommes.
Ce fléau aussi avait un nom.
Aurora Corporation.
Lucie fut la première victime de ce cataclysme. Alors qu'ils avaient été tous les quatre enrôlés dans cette secte macabre, elle n'avait pas eu la force de survivre. Elle passa l'arme à gauche rapidement, dans des souffrances relatives... Mais tout cela dans les bras d'Erwan dont le bon sens chavira à la renverse...
Et se cassa misérablement la gueule contre le macadam gelé d'un soir d'hiver.
Et il avait un coupable. Un coupable qui avait un nom.
Sa propre meilleure amie Sharleen.
Car, à bien y réfléchir, ils auraient pu continuer à vivre en dehors des pièces froides, des cloisons sans couleurs. Ils auraient pu continuer à cultiver leur bonheur illusoire dans ce monde qui avait la gangrène. Ils auraient pu.
Pour un simple canon de fusil levé. Pour une simple pression sur une détente.
Ils auraient pu être quatre. Ils auraient pu être libres.
Sharleen n'avait pas tiré sur les Agents avec l'arme qu'elle avait hérité de son défunt père.
Il la haïssait de tout son être, en une fraction de seconde, tout avait basculé. La rage s'était substituée aux souvenirs chaleureux d'une enfance baignée de lumière. Il envoya sa joie en l'air, préférant enlacer le désir de vengeance.
Vengeance qu'il obtint rapidement.
Au détour d'un dédale mal éclairé, mal surveillé, mal famé. Ce fut à cet endroit que cela se produisit. Isol et Sharleen rentraient vers les espèces de cagibis qui leur servaient de couches quand leurs regards se confrontèrent à celui d'Erwan.
Ils n'avaient rien compris.
La lame rouillée avait fusé plus vite que leurs perceptions visuelles tronquées.
Isol Theran était mort avant d'avoir touché le sol, un trou dans la cage thoracique.
Et le cri de Sharleen...
Il déchira tout. Le silence, la nuit, et les débris des cœurs des hommes.
Elle se rua sur Erwan avec la vivacité d'un félin et l'attrapa à la gorge. Ils chavirèrent tous deux au sol, Erwan glissant sur le dos. Pour une femme aussi maigre, elle avait une sacrée force dans la poigne. Elle tenait le cou de son ancien meilleur ami entre ses deux poignes, lui démontrant dans toute son évidence ce qu'elle ressentait... cette affreuse boule dans la gorge. Son regard furieux, embué de larmes, ne lui permettait plus de voir la réalité. À califourchon sur le corps de son nouvel ennemi qui allait bientôt l'abandonner à son tour, elle ne voyait plus rien.
Le néant.
Et la solitude.
Elle ne se souvenait toujours pas de ce qu'il s'était passé ensuite. Elle se souvient juste de s'être réveillée, atone. Atone... Atone et immobile.
Atone et capitonnée.
Dans une camisole.
La panique la saisit jusque dans ses viscères. Elle ne comprenait plus rien ! Elle se redressa vivement sur ses jambes, manqua de se casser la figure contre le carrelage froid et chancela jusqu'au miroir miteux qui pendait au-dessus du lavabo. Elle regarda son reflet... ce qui était censé être elle.
Elle ne se reconnaissait pas.
Son regard céruléen était éteint, comme si un fantôme s'était accroché à son âme. En cet instant, elle ne ressentait plus rien. Juste un vide indicible. À ce regard vitreux pendaient des cernes odieusement sombres. Ces petits vecteurs pointaient son visage émacié, ses joues creuses, ses os saillants...
Combien de temps était-elle enfermée dans cette camisole ?
Avait-elle était dans un coma ou quelque chose s'en rapprochant ?
... Mais alors ?!
Avait-elle cauchemardé, imaginé toute cette mascarade, ce sang versé, cette violence dont elle avait été victime ?
Peu de temps après qu'elle se soit levée, quelqu'un entra dans sa petite chambre. Encore un de ces scientifiques... Les Doc', comme on avait l'habitude de les appeler... Toujours cette blouse blanche impeccable, cette tenue pure et immaculée qui semblait clignoter en hurlant "Regardez comme j'habille un être pur en comparaison de vous, pauvres larves !", ces stylos chromés qui étaient toujours droit dans les poches, le porte-document lustré jusqu'à outrance... La toilette parfaite, la coiffure bien sculptée, leurs foutus airs goguenards flanqués sur leurs visages disgracieux, leurs regards fielleux...
Sharleen les avait tués plus d'une fois dans sa tête, de bien des façons.
Donc. Ce scientifique était entré. Il avait même pas feint une supposée surprise. À quoi bon être surpris ou rassuré qu'un cobaye se réveille ? Ils s'en foutaient complètement. Un cobaye, c'était juste là ou pas là, cela n'était pas grave. Sharleen le regarda longuement avant de simplement demander d'une voix platonique, tandis qu'il la délivrait de ses liens blancs, depuis combien de temps elle avait cette sale tête, depuis combien de temps elle dormait et depuis combien de temps son esprit était parti en vagabondage.
...
...
...
Depuis le début.
Qu'est-ce qu'elle espérait ?
Qu'est-ce qu'elle détestait le plus ? Ces scientifiques ou sa propre connerie ? Elle grinça des dents. Alors que ses bras étaient libérés, elle se leva d'un coup, le bras droit tendu et elle vrilla, remontant son bras vers le haut, traversant le corps du scientifique du scalpel rouillé qu'elle avait retiré du cadavre encore chaud d'Isol. Elle s'en souvenait, désormais. Tout cela était réel. Erwan avait tué Isol. Il lui avait volé ce qu'elle avait de plus cher.
Pourtant, elle n'avait pas le temps de broyer du noir. Elle n'allait pas s'enraciner dans cet endroit, ni passer dans un état végétatif comme le désirait la Corporation. Elle attrapa le matériel médical qu'avait le scientifique sur lui, ainsi que sa blouse blanche. Elle l'enfila prestement et cacha ses mains dans ses manches, dissimulant surtout les scalpels qui pendaient entre ses doigts. Elle ne se faisait pas de fausses idées ; Aurora Corporation était très bien surveillée et toutes les têtes du corps médical était connues. Aussi, elle ne leurrerait jamais quelqu'un très longtemps. Pourtant... cette seconde d'hésitation... elle était cruciale. Elle sortit en courant de la chambre capitonnée et traversa les couloirs avec le badge du scientifique en poche. À chaque fois qu'elle croisait quelqu'un, elle vociférait des ordres tels que "Un cobaye est en fuite de l'autre côté !" ou "Portez secours au médecin de la chambre 3 !" d'une voix si déterminée qu'il était impossible de la prendre pour une cobaye au premier abord. Bien sûr, elle finissait par recevoir des interpellations de gens qui avaient compris mais... comme désiré...
C'était trop tard.
Sa fuite fut rapide et efficace. Elle ne prit pas le temps de prendre des provisions ou de quoi sécuriser sa sortie. Elle n'avait pas le temps pour de telles précautions. Elle préféra fuir sans se retourner... ou presque.
Elle se retrouva dans le couloir où Isol avait été tué. Là, elle fut choquée de remarquer un dessin au sol, fait à la craie.
Un contour de craie.
Qu'est-ce que c'était que ça ? Les prémisses d'une enquête ? Peu importait... Cette image avait déjà tout envahi. Son système nerveux, son cerveau, sa mémoire, sa vue, ses sens, ses pensées, son coeur...
- NE VOUS FOUTEZ PAS DE MOI ! Hurla-t-elle en reprenant sa course.
Elle martelait le sol avec violence. Déjà, au loin, en plein milieu de son champ de vision, la milice qui s'assurait de la bonne sécurité des scientifiques - COMME SI C'ETAIENT CES CREVARDS QUI AVAIENT BESOIN DE PROTECTION ! - s'interposait entre elle et sa liberté. Le regard de Sharleen se durcit et pourtant, malgré les pensées communes qui l'imaginaient se rendre, elle n'en fit rien. La mort ?!
AHAHAHAHAH !
Elle s'en foutait, de la mort ! Tuez-la, elle en serait heureuse ! Avec vos flingues et vos belles pensées de purgation, vous revêtez juste les ailes d'un ange, en comparaison d'une vie à deux perdue ! Pourtant, elle ne se laissa pas tirer dessus non plus. Elle posa un pied sur un des murs et se propulsa vers le mur opposé. L'étroitesse du couloir lui permettait cette gymnastique qu'elle réitéra afin d'esquiver les tirs.
Elle ne comprenait pas ce qui la rendait capable d'esquiver des choses aussi rapides, toujours était-il qu'elle arriva sur eux et les dépassa en silence. Ils n'eurent guère le temps de se retourner. Ils s'effondrèrent, la nuque repeinte couleur passion.
Ouvrir les portes fut une bien plus simple affaire.
La liberté en fut et en était toujours une bien plus complexe.
Sharleen ne dit peut-être plus rien à Aurora Corporation. Dans la mémoire de certains, elle reste peut-être encore celle qui a tué leur ami, ou juste la petite crevarde qui a réussi à sortir des locaux d'Aurora Corporation. Pour beaucoup, elle est celle qu'ils imaginent très probablement morte, la face dans le caniveau, noyée par la pluie et bouffée par les asticots.
Et en soi... ils n'ont pas tout à fait tort.
L'identité de Sharleen est morte.
L'esprit et le corps... un peu trop vivaces.
Mais vous n'avez pas fait le lien entre cette gamine blonde et au regard envieux et cette jeune femme aux cheveux noirs et au regard éteint. Cette femme qui vous emmerde au plus haut point car vous ne savez pas comment mais elle a mis la main sur des armes et parce que c'est une mercenaire prête à tout. Cette femme qui se fait appeler "Yomyra".
Des faiblesses, Sharleen / Yomyra en a beaucoup, même si elles ne se voient que trop peu à votre goût. La mort d'Isol, même après tous ces mois, est une plaie béante dans son cœur. Jamais elle ne s'en remettra. C'est la source d'une folie qui l'anime, une folie qui ne se voit que très peu. D'autant qu'elle est comme marquée au fer rouge, dans son esprit, par cette image du contour de craie...
Il y avait une forme dessinée à la craie. Un contour de craie. Le contour d'un cadavre, dessiné à la craie.
Et elle, dormant au sol, à côté.
Elle dormait sur le parquet orné d'un contour de craie.
Et elle tenait la main imaginaire et gelée du contour de craie.
Contour de craie qui est d'ailleurs son signe distinctif, sa petite patte artistique quand elle revendique en silence une action contre Aurora Corporation. Mais, c'est pareil... Qui se douterait que ce dessin représente ce qu'un scientifique ou un milicien a un jour dessiné pour délimiter le cadavre d'un cobaye parmi tant d'autres ?
De même, son séjour, bien que court, à Aurora Corporation, n'a pas été sans séquelles physiques sur le corps de cette jeune femme. Très amaigrie, elle ne peut pas porter de charges trop lourdes ou en demander trop à son corps. Néanmoins, elle a su tirer parti de sa finesse, cette bougresse !
Passer dans les conduits est pour elle une chose facile. Elle a aussi travaillé son agilité et a utilisé ses bases très poussées en gymnastique pour se spécialiser en parkour. Une véritable anguille qui n'a pas peur du vide.
Toutefois, son plus grand atout n'est pas physique mais bel et bien mental. Cette fille a une Intuition hors normes. Une Intuition qui ne lui a pratiquement jamais fait défaut. De ce fait, elle pourra prendre des décisions particulières ou contraires aux pensées populaires mais elle aura toujours une idée derrière la tête et une grande confiance en ses choix. Prenons un exemple simple ; si elle est infiltrée dans une secte et qu'on lui apprend qu'elle a été découverte et qu'elle doit aller voir le chef... que fera-t-elle à votre avis ? Aller le voir ? Ne soyez pas ridicule ! Tout le monde sait qu'elle se fera tuer si elle y va... Eh bien oui. Elle va y aller. Créer la surprise. S'en sortir. Surprenant, n'est-ce pas ?
Yomyra a en sa possession des armes. La première, c'était un fusil de chasse qui était caché dans la cave de son ancienne maison. Un héritage de son père qui est aujourd'hui décédé. Elle a d'ailleurs son père en adoration. N'insultez jamais son père. Autant sa mère, elle s'en fout complètement car elle la déteste, autant son père... C'est son héros. Un jour peut-être vous expliquera-t-elle pourquoi. Elle a aussi un Desert Eagle et un revolver. Elle se bat très souvent dans ce style akimbo très particulier. Ensuite, elle a un grappin. Et des scalpels volés à Aurora Corporation, dont celui qui a tué Isol.
Elle aime apprendre des choses et tant qu'elle le pouvait encore, elle a appris énormément de choses sur l'anatomie. Elle se sert donc de ses connaissances pour pratiquer quelques petites interventions médicales simples... ou pour vous déboîter proprement un membre.
C'est une fille petite ! Elle mesure 1m57. Toutefois, vous n'avez certainement pas envie de la railler sur sa petite taille... Elle fait un peu trop antipathique pour ça. Antipathique, disais-je... Oui. Yomyra est une femme froide et sans sentiments. Comme ces derniers lui ont été arrachés à maintes reprises, il ne faut plus espérer qu'ils réapparaissent ou alors il faut avoir les épaules solides pour essayer de la côtoyer. Comme elle n'a plus de sentiments, elle ne comprend pas ceux des autres, ou alors les ignore complètement. Si vous êtes une gamine de 14 ans qui vient de perdre son grand-père adoré, elle ne va pas vous faire de cadeau pour autant. Elle va plutôt dire quelque chose comme ;
- Ne me force pas à te montrer le premier organe qui me passera sous la main pour te le prouver. J’ai l’embarras du choix. Son phrasé est simple et efficace. Yomyra ne s'évertue pas dans de longues conversations, elle est plutôt du genre à les écourter à coups de crosse, si vous voyez ce que je veux dire. Pourtant, elle a une valeur, une seule.
Elle plaide et plaidera toujours...
La Légitime défense. Elle ne vous attaquera donc jamais en premier.
Et elle vous tuera rapidement pour ne pas que vous souffriez.
Protégez le petit espace entre vos deux yeux. Elle adore.